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De l'amour dans l'air

De l’amour dans l’air !

4 scientifiques nous parlent d’amour et de sentiments

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L’amour ! En voilà bien un drôle de thème de dossier. Tu te dis peut-être que ça n’a rien de scientifique ou que c’est complètement irrationnel. Pourtant, tu t’es sûrement déjà demandé pourquoi tu rougissais à la vue d’une personne à laquelle tu étais sensible, pourquoi elle t’attirait, pourquoi ça chatouillait dans ton ventre…

Parler de l’amour nécessite de prendre le thème par tous les bouts. Et pour nous y aider, nous avons décidé d’interviewer quatre personnes ayant des spécialités d’études très différentes : une philosophe, une sociologue, un endocrinologue et un généticien. Chacun·e, avec ses théories et ses mots, a répondu à nos questions. 

De quoi brosser un portrait le plus complet possible de l’un des moteurs de la vie des hommes…

Un dossier câliné par François Piret, animateur scientifique
Première parution : Ébullisciences n°350, décembre 2013-janvier 2014


Nos expert·e·s

La philosophe

Florence Caeymaex est chercheuse qualifiée FNRS à l’Université de Liège. Elle y co-dirige l’Unité de recherches en philosophie politique. Avant tout spécialiste en histoire de la philosophie contemporaine, elle analyse, en philosophe, les enjeux politiques et éthiques des pratiques actuelles de «gestion de la vie» des êtres humains — en particulier celles qui mettent en jeu la santé des individus et de la population. Elle est également membre du Comité consultatif de bioéthique de Belgique.

La philosophie est la discipline qui consiste à réfléchir au monde et à l’existence humaine. À l’aide de la pensée et de la réflexion, qu’elle étudie aussi, la philosophie s’intéresse par exemple à la recherche de la vérité, au sens de la vie, de l’existence…

L’endocrinologue

Jacques Balthazart est responsable du Groupe de Recherches en Neuroendocrinologie du Comportement à l’Université de Liège. Docteur en sciences zoologiques, il est spécialiste des liens entre l’endocrinologie et les comportements et s’est particulièrement intéressé à l’étude des comportements de reproduction chez les animaux. Il s’est intéressé plus récemment aux mécanismes biologiques qui contrôlent l’orientation sexuelle (homo et hétérosexualité) chez l’Humain et a publié un livre résumant les connaissances en la matière (voir: http://reflexions.ulg.ac.be/cms/c_25612/nait-on-homosexuel).

L’endocrinologie est la discipline étudiant les hormones, ces molécules présentes dans le corps humain qui en influencent de très nombreux paramètres, tels que sa physiologie, son mode de fonctionnement et son comportement. Elle étudie par exemple la croissance du corps humain, la reproduction, la nutrition…

La sociologue

Cécile Piret est doctorante en Sociologie à l’Université Libre de Bruxelles. Son mémoire de fin d’étude proposait une « ethnographie des carrières amoureuses » et dans ce cadre elle a largement étudié les relations amoureuses d’un point de vue sociologique. Elle réalise actuellement une thèse sur la transformation des identités ouvrières et des revendications collectives dans le bassin industriel de Liège.

La sociologie est la discipline qui étudie les rapports sociaux, l’organisation des (groupes) humains ainsi que leurs comportements et leurs opinions. La sociologie s’intéresse par exemple au travail, à la famille, aux religions, aux réseaux sociaux…

Le généticien

René Rezsohazy est Professeur à l’Université Catholique de Louvain. Il dirige un groupe de recherche au sein du laboratoire d’embryologie moléculaire et cellulaire animale de l’Institut des Sciences de la Vie à Louvain-la-Neuve. Docteur en génétique moléculaire, ses domaines de recherche de prédilection concernent les gènes qui contrôlent le développement de l’embryon, en particulier chez les mammifères.

La génétique est la discipline qui étudie les gènes (y compris leur influence) et l’hérédité. La génétique s’intéresse par exemple aux maladies génétiques, à la composition et la structure de l’ADN, à l’évolution des espèces et des populations…


Se sentir amoureux·euse, c’est quoi ?

La philosophe

Comme le suggère la question, être amoureux·euse, c’est d’abord « se sentir », c’est-à-dire éprouver quelque chose en soi-même, tout en reliant cette expérience à une cause extérieure. Quelque chose en dehors de nous-mêmes provoque en nous un sentiment de joie, actif aussi bien dans le corps que dans l’esprit (« dans la tête »).

Si nous sentons que nous sommes amoureux·euse, il ne s’agit pourtant pas d’une simple sensation, comme celle que nous donne un son, une lumière ou une saveur. C’est pourquoi nous l’appelons plus volontiers un sentiment ou une émotion. Le sentiment est lié à une personne avec laquelle je peux avoir une relation, c’est-à-dire qui peut, en principe, entrer elle aussi en relation avec moi. Le sentiment amoureux va donc souvent de pair, pour chacun, avec une transformation intense de soi-même. Le plaisir est une sorte d’harmonie entre moi et le monde, mais la joie associée au sentiment amoureux est autre chose : elle recèle une double force, le désir de transformer simultanément sa propre existence et celle de l’aimé, le désir d’augmenter simultanément son pouvoir d’agir et celui de l’aimé.

L’endocrinologue

L’amour est un sentiment complexe influencé par les expériences antérieures, le contexte social mais aussi divers messagers chimiques présents dans notre organisme. La motivation sexuelle est stimulée chez l’homme comme chez la femme par la testostérone, une hormone qui contrôle le comportement sexuel. [Voir ci-après]

♦ LES HORMONES : Les hormones sont des composés chimiques présents dans notre corps et qui sont sécrétés par les glandes  endocrines. Ils sont transportés par le sang dans tout l’organisme et y provoquent des modifications morphologiques (structure et de l’évolution du corps), physiologiques (fonctionnement des organes, des fonctions de nutrition, reproduction…) et comportementales (humeur, stress, plaisir…).♦

Le sentiment amoureux et l’attachement à un·e partenaire spécifique sont, eux, influencés par d’autres messagers chimiques appelés neurotransmetteurs tels que l’ocytocine et la vasopressine qui sont secrétés par certains neurones (les cellules du cerveau) et activent les zones du cerveau contrôlant la formation de liens sociaux.

Le sentiment amoureux active aussi les zones du plaisir du cerveau en libérant des messagers chimiques de la famille des opiacés qui induisent dans le cerveau des effets similaires à ceux de l’opium. L’opium est une drogue induisant une sensation de soulagement et de plénitude mais qui provoque après usage prolongé une dépendance physique importante. L’amour pourrait donc être assimilé à une drogue !

La sociologue

La manière dont nous vivons une relation amoureuse est le fruit d’une socialisation qui commence dès l’enfance. On apprend à identifier le sentiment amoureux, on apprend les gestes, les mots et les codes d’amour. Comme le disait La Rochefoucauld: « Il y a des gens qui n’auraient jamais été amoureux s’ils n’avaient jamais entendu parler de l’amour ». Autrement dit, pour se reconnaître amoureux·euse, il faut avoir au préalable une idée de ce qu’est l’amour. Avant même de vivre une première relation amoureuse, les individus ont une idée de comment l’amour se vit. Par exemple, un enfant comprend très vite les gestes amoureux de ses parents : un baiser sur la bouche, se tenir par la main, s’enlacer, se regarder yeux dans les yeux.

T’es-tu déjà demandé pourquoi le baiser sur la bouche représentait tellement, au cinéma et dans la vie réelle, la passion amoureuse ? Sûrement non, parce que les individus considèrent comme « normaux », « naturels » des gestes qui sont en fait le résultat d’une certaine culture amoureuse.

Le sentiment amoureux est donc exprimé et vécu selon certaines règles sociales souvent inconscientes.

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Dès l’enfance, on apprend comment l’amour se vit, par exemple en voyant les adultes s’embrasser. Avant de connaître l’amour, on est donc en mesure de reconnaître l’amour.
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Le généticien

Se sentir amoureux, cela correspond aux changements comportementaux associés à l’attirance que l’on peut avoir à l’égard d’une personne que l’on désire comme partenaire sexuel·le. C’est le résultat de réactions biologiques qui sont pour une bonne part innées, donc génétiquement inscrites. 

♦ DES COMPORTEMENTS INNÉS ? Comme la couleur des yeux ou des cheveux, de nombreux comportements sont codés par les gènes et ne sont pas des acquis de l’expérience vécue ou de l’apprentissage, on dit qu’ils sont innés. L’exemple le plus simple correspond aux mouvements réflexes : quand on marche sur un clou, on lève la jambe d’un coup sans même y penser.♦

De même, certains comportements qui caractérisent le sentiment d’être amoureux·euse, comme avoir le cœur qui s’emballe, les mains qui deviennent moites, avoir les pupilles qui se dilatent, reflètent un état, une réaction de l’organisme que l’on ne contrôle pas avec la volonté ou avec la raison.

Pour les humains, évidemment, le sentiment amoureux affecte également la conscience et donc se sentir amoureux·euse ne se limite pas aux simples réactions physiologiques génétiquement innées. Ces réactions, cet état amoureux seront alors associés à de l’attention, du soin, de la douceur, à l’envie de partager beaucoup plus qu’une simple relation sexuelle, l’envie de créer quelque chose ensemble, l’envie de voir l’avenir à deux.


Faire l’amour, qu’est-ce que ça représente ?

La philosophe

De nombreuses formes d’attachement aux autres s’expriment par des contacts corporels, mais ceux-ci seront différents selon le type de relation. Les façons dont tu montres l’attachement que tu éprouves pour ta mère ou ton père, pour ta·ton meilleur·e ami·e, ou la façon dont tes grands-parents te signalent leur attachement à toi, seront toutes différentes. Dans toutes les sociétés, l’expression des sentiments par les contacts obéit à un code et les codes varient selon les cultures et les époques.

Dans notre monde actuel, ce qui distingue le sentiment amoureux des autres formes d’amour, c’est qu’il se prolonge généralement dans un désir sexuel du corps de l’être aimé. Ce désir sexuel, qui nous pousse à « faire l’amour », n’a pas de définition précise, parce qu’il n’est pas nécessairement limité aux organes génitaux ; il peut se porter vers les mains, la bouche, les épaules, réagir à la voix ou au parfum.

Bien sûr, le désir et l’acte sexuel peuvent très bien exister en dehors d’un sentiment amoureux. Mais le sentiment amoureux qui porte à « faire l’amour » implique en tout cas la recherche commune d’un plaisir par les corps, une expérience à la fois intime et partagée.

L’endocrinologue

Faire l’amour représente l’expression culminante du sentiment amoureux mais permet également de satisfaire le désir sexuel qui est parfois totalement indépendant d’une relation amoureuse.

L’accouplement humain ne diffère guère de l’accouplement chez les grands singes mais, par contre, la séquence amoureuse, des premières approches jusqu’à l’accouplement, est devenue beaucoup plus variée et complexe en même temps que le cerveau humain se développait. On retrouve néanmoins chez l’humain les mêmes réactions physiologiques liées à l’accouplement que celles qui ont été décrites chez le singe : libération d’ocytocine lors de l’orgasme (hormone favorisant le bien-être et les liens sociaux) et activation du système de récompense du cerveau par divers messagers chimiques incluant la dopamine et les opiacés. [Voir ci-dessous] 

Ces deux groupes de messagers chimiques contrôlent dans le cerveau toutes les sensations de bien-être ressenties par un individu (après avoir mangé du chocolat, fait un exercice sportif prolongé ou consommé une drogue) et sous-tendent également la sensation de bien-être qui suit en général l’orgasme.

♦ Le système de récompense est un système important du fonctionnement du cerveau des mammifères (mais aussi du poisson rouge, du pigeon…). Il permet de développer une intuition concernant les actions et circonstances positives pour l’animal et d’éviter celles qui pourraient lui être négatives. Les actions et phénomènes positifs  (manger, lutter pour la survie, se reproduire…) sont récompensés : ils provoquent des sentiments de plaisir tels que le plaisir de manger, le plaisir ressenti lors de l’orgasme… Les actions et phénomènes négatifs (se mettre en danger) sont découragés : ils provoquent une punition qui peut être la douleur, le stress ou la peur.
Ces systèmes sont primaires et s’inscrivent dans une logique de survie de l’espèce.  Ils conditionnent également des réactions innées, telles que la salivation (plaisir de manger), le vomissement (en cas de mise en danger), la « chair de poule » (accompagnant la peur)… ♦

La sociologue

On peut comprendre l’expression « faire l’amour » de manière littérale : faire l’amour fabrique du sentiment amoureux pour l’autre. En effet, la sexualité a une place fondamentale dans la construction de beaucoup de couples actuels, et ceci pour deux raisons. D’abord, parce que ce sont les relations amoureuses qui délimitent le cadre des relations sexuelles. La sexualité peut se pratiquer sans sentiment amoureux mais en général, les sphères amoureuse et sexuelle sont étroitement liées.

Un couple moderne se construit sur base d’une exclusivité sexuelle et affective. Les deux amants se promettent fidélité : on se promet de ne pas avoir de relation sexuelle avec un autre partenaire ou de tomber amoureux d’une autre personne. En Belgique, la polygamie (le fait d’avoir plusieurs conjoints à la fois) est même interdite. Ensuite, faire l’amour n’est aujourd’hui plus uniquement lié à la fonction de reproduction grâce au développement des techniques contraceptives. Le désir lié à l’acte sexuel devient la raison de l’acte lui-même et ce désir partagé contribue à construire la relation amoureuse, et donc renforce le sentiment que l’on a pour l’autre…

Le généticien

Imaginons un instant que durant 60 années, les hommes et les femmes arrêtent de faire l’amour… cela entraînerait la disparition de l’espèce humaine. Ainsi, d’un point de vue biologique, faire l’amour, c’est d’abord assurer la reproduction de l’espèce. L’Homme, comme les autres mammifères, se reproduit par la sexualité. Mais de très nombreux animaux, au contraire, peuvent se reproduire sans sexualité. Ces animaux se reproduisent par exemple en se divisant en deux. La reproduction sexuée implique la rencontre d’un spermatozoïde, portant les chromosomes de l’homme, et de l’ovule, portant ceux de la femme : c’est la fécondation. L’embryon qui se développera alors porte une combinaison unique de chromosomes. La reproduction sexuée est ainsi le moyen d’engendrer des individus uniques et d’assurer le brassage des chromosomes, génération après génération.

Cependant, on ne dit pas des animaux qu’ils « font l’amour ». Faire l’amour a une dimension proprement humaine qui dépasse la simple dimension génétique et reproductive. Faire l’amour, c’est également un acte affectif fort qui est associé à la vie de couple.


L’amour d’un parent et celui d’un(e) amoureux(-se) : même phénomène ?

La philosophe

Le même mot, amour, sert à désigner diverses formes de l’attachement. Il souligne l’élément commun dans cette diversité. L’attachement du parent à son enfant est, comme celui de l’amoureux, de nature relationnelle, donc sentimentale ou émotionnelle. Comme l’amoureux avec l’être aimé, le parent, quand tout va bien, se réjouit des accomplissements et du bonheur de son enfant. Comme l’amoureux, le parent peut connaître des moments d’attachement passionné, sauvage, indistinctement spirituel et corporel.

Et cependant, rien n’est plus réglementé, dans notre société, que l’attachement du parent à son enfant. La réglementation (exprimée aujourd’hui dans des lois) fournit un code de conduite qui a pour but de marquer une différence radicale entre l’amour d’un adulte pour un enfant et celui d’un adulte pour un autre adulte. En aucun cas, l’amour de l’adulte, et a fortiori de l’adulte parent, ne pourra s’accomplir sous la forme d’un acte sexuel. Cette règle traduit, dans notre culture, l’interdit de l’inceste que chaque culture organise à sa façon.

L’endocrinologue

Oui et non. L’amour est un phénomène général qui implique l’établissement d’un lien privilégié et d’un certain niveau d’intimité  qui provoquent une sensation de bien-être, quel que soit l’objet de cet amour. On ne dispose pas de modèle animal spécifique correspondant de façon précise à l’amour humain et ses mécanismes sont donc mal compris. On a cependant montré chez des petits rongeurs (souris et campagnols) que l’établissement d’une relation privilégiée et exclusive avec un partenaire du sexe opposé était contrôlé par l’action de l’ocytocine, de la vasopressine et de la dopamine qui se lient à des récepteurs spécifiques dans des régions précises du cerveau.

Des données indirectes suggèrent l’intervention des mêmes mécanismes dans la formation et le maintien de la relation monogame (formation d’un couple stable entre deux partenaires) chez l’homme. On pourrait imaginer que les mêmes mécanismes sous-tendent d’autres formes de relation amoureuse mais cela n’a pas été démontré à ce jour.

Le généticien

Bien sûr, non. D’un point de vie strictement génétique pour commencer, l’amour d’un parent résulte du besoin de protéger et soigner les individus qui possèdent un patrimoine génétique proche (frères, sœurs) ou que l’on a transmis (enfants). Ainsi, l’amour d’un parent résulte d’une loi de conservation génétique. L’amour d’un amoureux ne provient pas du tout de cette tendance à assurer la survie des individus qui sont proches génétiquement. L’amour d’un amoureux est associé au désir sexuel, et donc à l’attirance partagée par des partenaires qui souhaitent se reproduire.

Encore une fois, parle-t-on d’amour pour d’autres animaux que les hommes ? Parler d’amour pour d’autres animaux reviendrait à essayer de se mettre à leur place, ce qui est impossible. L’amour d’un parent ou l’amour d’un amoureux sont des sentiments différents mais ce sont d’abord, d’un côté comme de l’autre, des sentiments d’amour : douceur, affection, empathie réciproques.

La sociologue

Les frontières entre les différentes « formes d’amour » (amour paternel, amour fraternel, amitié, amour conjugal) ne sont pas toujours si faciles à définir. Ces différences ne sont pas données par nature, mais la société distingue des types de relations sociales. Il y a par exemple des éléments de ressemblance : n’as-tu jamais ressenti de la jalousie lorsque tu as l’impression, souvent à tort, que tes parents aiment plus ton frère ou ta sœur que toi ? Deux amis d’enfance, également, peuvent se promettre fidélité. Ils font un serment d’amitié et se promettent d’être toujours les meilleurs amis du monde. Deux amoureux font pareils.

Cependant, il y a également des différences. La sexualité entre un parent et un enfant est interdite ; alors qu’elle définit, comme on l’a vu, le couple amoureux. De plus, ce qui distingue fondamentalement les relations de parenté des relations amicales ou amoureuses c’est l’électivité : on « choisit » ses amis et son amoureux, mais on ne choisit pas ses parents (et ses enfants). L’on peut ainsi en déduire que l’affection ressentie pour ses proches en est différente.

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Frangin ou amoureux ? Les gestes qui manifestent ces deux formes d’attachement sont strictement codés, voire réglementés, par la société.

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Être en couple, ça représente quoi ? C’est pareil partout sur terre ?

La philosophe

Être en couple est l’une des façons de manifester publiquement une relation amoureuse. Habiter à deux, partager des activités à deux, faire des enfants, c’est une manière possible, et fréquente, de donner une existence visible et publique à la relation amoureuse. Mais, de même que le sentiment amoureux peut exister sans le couple, le couple peut très bien rester étranger au sentiment amoureux au sens défini dans la 1re question.

Dans de nombreuses sociétés, le couple est la forme traditionnelle du mariage (et souvent du mariage arrangé par les parents), c’est-à-dire d’une association dont le but est aussi bien économique (accumuler et transmettre des biens ou des richesses) que reproductif (faire des enfants, agrandir la famille,…). Le couple du mariage traditionnel peut générer une affection et un attachement réciproque très différent d’une passion amoureuse. C’est pourquoi, dans de nombreux contes et récits littéraires, par exemple dans Roméo et Juliette ou dans L’amant de Lady Chatterley, le sentiment amoureux apparaît comme ce qui transgresse les règles du mariage et celles de l’ordre social.

L’endocrinologue

Des personnes amoureuses voudront souvent vivre en couple pour être en permanence avec la personne aimée. Cet amour-passion ne durera cependant que quelques années (une à trois selon certains chercheurs). Les mécanismes qui stimulaient le système de récompense dans le cerveau et supportaient le sentiment amoureux vont progressivement se désensibliliser et l’activité du cerveau reprendra son cours normal. Évolutivement, on pense que cette durée correspond à la période pendant laquelle la femelle (la femme) a absolument besoin de l’aide d’un mâle (homme) pour mener à bien sa grossesse et assurer les premières étapes du développement de son enfant. La nature du lien de couple se modifie après ces premières années mais ce lien sera cependant encore régulièrement renforcé par l’activité sexuelle, les caresses et même par des interactions non sexuelles qui stimulent la production d’ocytocine et le système de récompense.

Ces mécanismes sont probablement en action dans toutes les sociétés humaines même si la façon dont s’expriment les liens du couple varie en fonction du contexte social.

La sociologue

Il faut bien comprendre que la manière dont les individus vivent leurs relations amoureuses est le résultat de processus sociaux, culturels et historiques. La façon de vivre l’amour varie donc d’un groupe social à un autre (selon le niveau socio-économique ou l’appartenance religieuse par exemple), et varie dans le temps et dans l’espace. En Occident, pour le dire de manière générale, il y a trois valeurs-types qui structurent la façon dont on vit en couple : l’aspiration à un amour qui dure, via le mariage ou non, l’exclusivité affective et sexuelle et la constitution d’une famille nucléaire, c’est-à-dire une famille qui se construit autour de la relation parents-enfants. À ceci peuvent être ajoutées l’idéalisation de l’être aimé et l’envie d’une expérience fusionnelle.

Il est évident que cette façon de vivre l’amour est socialement située. Par exemple, chez les Trobiandais, vivant dans des îles au large du Pacifique près de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, l’anthropologue Malinowski observe que les échanges amoureux ne sont pas organisés par des règles culturelles romantiques. Par exemple, l’idéalisation de la femme aimée est inexistante.

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Dans de nombreuses sociétés, la passion amoureuse et le mariage ne vont pas forcément de paire. Dans d’autres, le mariage ou le couple est la manière publique de vivre sa relation amoureuse.

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Le généticien

Pour beaucoup d’animaux, le couple est une association fugace associée à la reproduction voire parfois à la protection des petits jusqu’à ce qu’ils deviennent autonomes. À cet égard, l’Homme est sans doute l’animal pour lequel la dépendance des petits envers les parents est la plus longue puisqu’elle dure 20 ans ou plus. De ce point de vue, être en couple, c’est donc assurer la protection, le développement et la croissance des petits, de la descendance.

La vie du couple, son épanouissement, dépasse évidemment la seule nécessité animale d’assurer la protection et la survie des petits à qui on a transmis nos gènes. Être en couple, c’est un projet de vie, c’est une manière d’être en société et dès lors, évidemment, cela n’est pas pareil partout sur terre, car la définition de la famille, son mode d’organisation et de vie, quoiqu’ayant partout des racines certainement communes, diffère d’une culture à une autre. D’ailleurs, être en couple, aujourd’hui, diffère de ce que cela était il y a un siècle.


Quelle est l’influence de l’orientation sexuelle sur le sentiment amoureux ?

La philosophe

Les manifestations physiques et mentales du sentiment amoureux sont communes à tous les humains : le cœur qui se sent battre, le stress, l’excitation, la diminution de l’appétit, la fixation de l’esprit sur l’image mentale de l’aimé, le désir sexuel, etc. Matière des chansons, des romans ou du cinéma d’amour, elles sont liées au sentiment en lui-même, pas au sexe de la personne aimée. Si je suis une fille qui aime une fille, mon cœur pourra battre aussi fort que si je suis une fille qui aime un garçon.

Beaucoup de sociétés désignent comme anormal le sentiment amoureux homosexuel et font la vie dure à ceux qui ont des relations sexuelles avec des personnes du même sexe. Il n’y a pourtant aucune raison ni avantage, pour la société, de marginaliser les attachements homosexuels. Mais la différence persiste, de telle manière que certains, aimant des personnes de même sexe, ont été amenés à inventer d’autres façons de vivre leur sentiment amoureux, en dehors du couple par exemple. La façon dont nous cultivons les attachements amoureux n’est pas fixée une fois pour toutes, ni par la nature, ni par la culture. C’est un terrain d’invention, et de lutte pour certains.

L’endocrinologue

L’amour homo ou hétéro-sexuel est de même nature, c’est son objet qui change. La plupart des garçons sont sexuellement attirés par les filles et vice versa. 3 à 10% de personnes, une minorité significative, sont attirées sexuellement par des personnes de leur sexe ; ils sont homosexuels. Le sexe du partenaire sexuel n’est pas choisi de façon libre par un individu mais s’impose à lui en général pendant l’adolescence.

Cette orientation sexuelle est influencée, si pas déterminée, par des facteurs génétiques non identifiés à ce jour [voir ci-dessous]. Elle est également influencée par la testostérone qui agit sur l’embryon pendant la fin de la grossesse ou sur le jeune bébé. Pendant la vie embryonnaire, la testostérone détermine le développement des organes génitaux mâles mais elle sexualise également le cerveau et le comportement, y compris l’orientation sexuelle. Il n’y a aucune raison de discriminer les homosexuels ; il s’agit d’une variation biologique naturelle d’un caractère comportemental complexe et mal compris.

♦ « L’orientation est plus semblable entre frères ou sœurs qu’entre étrangers, entre vrais qu’entre faux jumeaux. » Les dernières études laissent supposer que l’homosexualité a une origine notamment génétique. On ne sait pas encore précisément l’ampleur de cette influence et on ne sait pas encore non plus quels gênes pourraient être impliqués, mais on a constaté que la répartition des personnes homosexuelles dans une population laissait supposer une composante génétique.  En effet, en général, l’orientation sexuelle dans une même famille (entre frères et sœurs par exemple) est plus semblable qu’entre différentes familles. De même, des vrais jumeaux (qui ont le même patrimoine génétique) auront plus souvent la même orientation sexuelle que de faux jumeaux (qui ne l’ont pas). ♦

La sociologue

L’hétérosexualité a été érigée comme une règle sociale par excellence des relations sexuelles dans la société. C’est une règle normative, c’est-à-dire qu’elle pousse les individus à adopter ce comportement-là et pas un autre, de manière implicite : c’est une pression sociale et non une obligation.

Cela fait également partie de notre héritage culturel. Un des problèmes de cet héritage est qu’il tend à faire croire qu’il existe une sexualité normale et a-normale, alors qu’il n’y pas de preuve scientifique à cela. On sait par exemple que les relations homosexuelles existent aussi chez les animaux. Pour cette raison, je ne dirais pas que l’orientation sexuelle influence le sentiment amoureux  mais qu’elle influence la liberté que deux personnes du même sexe qui s’aiment vont avoir pour l’exprimer.

Malgré quelques avancées démocratiques pour les droits des « minorités sexuelles » (les LGBT, pour « lesbiennes, gays, bisexuels, transsexuels »), comme le droit au mariage ou à l’adoption (en Belgique les deux sont acquis mais encore beaucoup de pays continuent à leur refuser ces droits), la société continue à traiter de manière différente les individus selon leurs orientations sexuelles.  Il existe toujours beaucoup de discriminations et d’homophobie.

Le généticien

Le généticien ne pourra pas dire grand-chose là-dessus. La portée de la génétique sur l’orientation sexuelle est certainement très complexe et très variable. L’homo- ou l’hétérosexualité se développent en réponse à tellement de facteurs dont certains peuvent être physiologiques et d’autres propres à l’expérience vécue, qu’il n’est pas possible d’établir une relation simple entre génétique, orientation sexuelle et sentiment amoureux.

Je suis cependant convaincu que le sentiment amoureux, qui est en partie une réaction physiologique, est un sentiment partagé quelle que soit l’orientation sexuelle. Ce sentiment qui dépasse la sexualité et qui consiste à vouloir partager le bonheur et les épreuves de la vie, à vouloir penser l’avenir ensemble, ce sentiment me semble être de même nature que l’on soit homo- ou hétérosexuel.


Question à la philosophe :

D’où vient la gêne quant au sentiment amoureux ?

L’amoureux, tout enthousiaste qu’il soit, peut malgré tout se trouver dans l’embarras. Le sentiment implique une relation, réelle ou simplement possible, avec quelqu’un d’autre. Le sentiment amoureux est peut-être le plus exigeant de tous les sentiments parce qu’il appelle ou du moins espère une relation avec l’aimé qui va dans les deux sens. Comment savoir, avant de s’être déclaré, si le sentiment est bel et bien réciproque ? L’amoureux ne peut le savoir qu’en prenant le risque d’exprimer, par la parole ou par des gestes, ce qu’il éprouve. En s’exprimant, il s’expose à l’échec (il ou elle ne m’aime pas), à l’incertitude (il ou elle ne se déclare pas), et plus généralement au fait qu’une réciprocité parfaite n’existe pas (il ou elle m’aime, mais pas comme je voudrais, pas autant que je voudrais). Il y a une force du sentiment amoureux (la joie, la puissance d’agir qu’il suscite), mais aussi une faiblesse : au début comme à la fin, être attaché et le dire à l’aimé, c’est être vulnérable, dépendant d’un désir qui ne répond pas parfaitement au mien. D’où la gêne, ou l’embarras, qui tourmente l’amoureux non déclaré.


Question à la sociologue :

Peut-on tomber amoureux sur  internet ?

Beaucoup d’individus cherchent grâce à Internet à trouver l’âme sœur, la bonne personne. En fait, Internet favorise d’autres mécanismes d’évaluations du conjoint. Internet permet de trier les partenaires potentiels en cherchant une compatibilité selon les traits physiques, psychologiques et culturels recherchés. Par exemple, si tu veux une copine qui ait un grand sens de l’humour ou un copain qui est supporter des Diables Rouges (ou pas ! ;-)), Internet te permettra de rencontrer plus facilement ces personnes-là.

Par ailleurs, Internet semble renforcer des logiques de choix du conjoint existantes dans le monde non virtuel. Prenons le cas de l’endogamie. L’endogamie est le phénomène social selon lequel les échanges amoureux se produisent généralement entre des personnes provenant d’une même origine sociale et culturelle. Par exemple, une ouvrière aura moins de chance de se marier avec un banquier qu’avec un ouvrier, parce qu’il y a des différences culturelles très importantes : ils ne parlent pas de la même façon, ils ne fréquentent pas les mêmes lieux,etc. Pour les sociologues, l’amour aveugle n’existe pas : on ne tombe vraiment pas amoureux de n’importe qui ! Les sites de rencontres accentuent ce processus : on trouvera en effet des sites pour des petits patrons, pour des personnes politiquement « à droite » ou « à gauche », ou encore pour personnes chrétiennes ou musulmanes, etc.


Question au généticien :

Qu’est-ce qui guide le choix d’un partenaire amoureux ?

L’odeur ! Certains travaux laissent penser que l’on reconnait inconsciemment à l’odeur le fait qu’un partenaire est plus ou moins différent de soi d’un point de vue génétique et immunologique. Or, si la descendance reçoit un héritage génétique varié, elle sera plus vigoureuse et aura plus de chances de survie. La consanguinité, le fait de se reproduire entre frères et sœurs ou entre cousins, va par contre entraîner une descendance fragile, plus propice à des déficits génétiques.

Bon, mais l’odeur… c’est un peu court. De prime abord, le choix d’un partenaire est inconscient. Il est difficile de rationaliser pourquoi on est attiré par un partenaire plutôt que par un autre. On le trouve beau, sympathique, intelligent, drôle,… mais tout cela n’est guère objectif. Heureusement d’ailleurs, car comme tous les goûts sont dans la nature, tout le monde aura sa chance. Ceci étant dit, après la première rencontre, ce choix se confirme ou non, s’affine selon que l’on partage ses centres d’intérêts, ses goûts, ses projets, que l’on continue à s’admirer et que l’on renforce l’envie de concevoir l’avenir à deux.


Question à l’endocrinologue :

La jalousie est-elle physiologique ?

La jalousie pathologique représente une forme de haine acquise par la crainte souvent injustifiée qu’on a d’être dépossédé de celui qu’on aime. On peut considérer la jalousie comme un trouble de la personnalité s’apparentant à une paranoïa dans laquelle le sujet interprète de façon systématiquement déformée diverses informations concernant son/sa partenaire.

À ce titre, la jalousie implique probablement un déséquilibre dans le fonctionnement de différents systèmes de messagers chimiques du cerveau tels que la dopamine (neurotransmetteur qui contrôle les phénomènes de récompense et de renforcement des comportements mais aussi l’activité motrice) ou la sérotonine (neurotransmetteur impliqué dans le contrôle de l’humeur, la douleur, l’anxiété, l’alimentation et l’activité physique). Cependant comme il n’existe à nouveau pas de modèle animal pour ce sentiment humain, il reste très difficile d’en étudier les mécanismes cérébraux.

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